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Ondes porteuses
Quatre ans de silence radio, puis un coup de poker : la sortie sur internet de « in rainbows », leur dernier disque. Radiohead a pris la tangente pour mieux toucher son public. Aujourd'hui, le groupe sort une version cd, en session de rattrapage. Nous avons répondu présent.
par Florent Mazzoleni



Depuis Hail to the Thief, en 2003, Radiohead, fleuron du rock anglosaxon depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, n'avait plus rien sorti. Seul un album solo, The Eraser, de leur leader thom yorke, témoignait, en 2006, d'une activité musicale récente. Le 1er octobre dernier, le groupe annonçait son retour au premier plan avec la sortie internet de in rainbows, leur septième album. En rupture de contrat avec son label historique, la formation britannique proposait son album en téléchargement. Libre à l'auditeur de s'acquitter de la somme qu'il voulait. Il s'agissait d'une première pour un groupe aussi connu que radiohead. Cette livraison digitale n'était que le prélude réussi à une sortie sur un support physique d'in rainbows. A cette occasion, thom yorke et le guitariste ed o'brien nous ont accordé une rare interview, le groupe n'ayant plus parlé à la presse depuis plusieurs années.

LE MAGAZINE DE L'OPTIMUM: Comment expliquezvous le succès colossal du téléchargement de votre septième album, in rainbows?
THOM YORKE: J'ai adoré le jour où le téléchargement est devenu disponible pour tout le monde. Tous nos fans écoutaient notre musique, comme un seul homme, où qu'ils se trouvent dans le monde. Pas seulement cela, mais aussi le fait qu'ils écoutaient le disque et qu'ils ne lisaient rien dessus. Personne n'avait encore eu le temps d'écrire quoi que ce soit sur l'album. Chaque auditeur se faisait donc sa propre opinion, sans être influencé par qui que ce soit. Les gens des médias et de l'industrie étaient désorientés, car ils sont habitués à tout contrôler. C'est bien que notre public ait été au rendez-vous.

Après l'avoir diffusé au format digital, vous le sortez aujourd'hui sur cd. Considérez-vous le support physique comme toujours nécessaire?
T.Y.: Aujourd'hui encore, 80 des gens écoutent la musique sur un support cd, et ce ne sont pas forcément des habitués ou des adeptes du téléchargement. Si l'on ferme les portes de la distribution physique, il y aura beaucoup de personnes qui ne pourront jamais entendre les disques. Ce qui nous déplaisait le plus était de terminer un album, et qu'ensuite il ne se passe plus rien pendant des mois. C'est pourquoi in rainbows a été disponible si rapidement sur internet, avant sa sortie physique.
ED O'BRIEN: J'écoutais la radio le jour où in rainbows a été diponible sur internet. Le dj disait juste : « voilà, c'est un nouveau morceau de radiohead », et le titre était diffusé. Aucune opinion n'était donnée. Dans ce type de scénario, il y a habituellement une procédure à respecter : envoyer le disque à la presse, aux stations de radio. Mais c'était agréable de voir que le jour de la sortie de in rainbows, tout le monde était logé à la même enseigne. Peut-être que cela a énervé quelques programmateurs radio, mais il me semble que les échos de cette sortie internet ont été largement positifs.

Justement, à l'heure du règne des sélections aléatoires et de la course au titre unique, que pensez-vous du format album? Est-il encore pertinent?
T.Y.: Je suis persuadé que le déclin du format album a commencé lorsqu'on a rajouté des bonus sur les cd, histoire de justifier leur prix, souvent aberrant, dicté par les maisons de disques. De la première à la dernière note, hunky dory de david bowie est absolument parfait! Et ensuite, on se retrouve avec les morceaux bonus. Cela galvaude malheureusement cette idée classique d'un album à deux faces, d'un produit fini. Il est de la responsabilité des artistes de faire des disques de quarante à quarante-cinq minutes, avec dix ou onze titres, d'arriver à en faire des oeuvres fortes et cohérentes à la hunky dory ou à la transformer de lou reed. L'album est un format qui fonctionne encore parfaitement en tant qu'oeuvre d'art, il me semble.

Votre motivation est-elle la même qu'à vos débuts?
T.Y.: Non, je pense qu'elle change tout le temps. Aujourd'hui, nous faisons de la musique pour ne pas être coincé dans les embouteillages ou ne pas avoir à aller au supermarché. On part de chez nous et on essaie de faire quelque chose d'intéressant.
E.O'B.: C'est la pensée qui m'a traversé en faisant ce disque. Lorsque nous avons formé le groupe, c'était comme si nous étions seuls contre le reste du monde. Il fallait que nous nous en sortions, par tous les moyens. Nous n'étions pas contents de ce qui nous entourait. Nous devions aller au-delà. Le père d'un de nos amis, d'origine portugaise, nous a dit que nous exprimions une certaine saudade, ce désir d'être ailleurs, quelque chose de mélancolique et souvent triste. Nous ne sommes plus du tout aujourd'hui dans cet état d'esprit. On retrouve certes certains éléments mélancoliques, surtout sur ce dernier album, mais les choses ont changé.

In rainbows ressemble à une synthèse parfaite de vos albums précédents. Qu'en pensez-vous?
T.Y.: Lorsqu'on regarde un album exigeant comme kid a, on voit qu'il a été nécessaire dans notre parcours. Nous n'en serions pas là aujourd'hui si nous n'avions pas fait ces disques-là avant. Cela nous ouvre les yeux et nous permet d'avancer. Chaque disque a fonctionné ainsi pour nous. Avec in rainbows, il me semble que nous n'avons jamais été aussi concentrés, du moins que nous n'avons jamais suivi une direction aussi forte.

Quelles sont vos influences?
T.Y.: Notre plus grande influence est le fait que nous essayons tous de partir dans plusieurs registres différents. Nous écoutons des choses très diverses. Si l'un d'entre nous est obsédé par un disque ou un style précis, nous sommes toujours quatre pour essayer de l'en dissuader, en raison de la musique que nous écoutons tous. Ed est beaucoup dans la musique brésilienne en ce moment.
E.O'B.: Pour moi, sur in rainbows, je suis revenu à mes influences classiques. J'ai redécouvert beaucoup de grandes chansons. Dans la quête de nouveautés ou de musiques nouvelles, on en oublie souvent les fondamentaux!J'ai été honnête avec moi-même, quel que soit leur degré de célébrité. Une bonne chanson doit d'abord nous parler et nous émouvoir, par sa mélodie, ses paroles ou son chant. Je préfère fonctionner ainsi plutôt que de me dire : « je dois aimer cela, quel emploi astucieux de tel ou tel instrument!» aujourd'hui, je ne me pose plus la question de savoir si je dois aimer tel ou tel morceau afin d'être musicalement correct!Je suis d'abord ému.

Qu'est-ce qui vous pousse encore à aller de l'avant après tant de succès et de reconnaissance?
T.Y.: Faire un nouveau disque est un gain de confiance évident pour nous. Nous sommes des types issus de la classe moyenne britannique et, dès lors que nous cessons de travailler, nous perdons cette confiance. Lorsque nous nous arrêtons, nous nous demandons vraiment ce que nous faisions auparavant. Cela ne nous prend pas trop de temps pour tout oublier.

Pourriez-vous aujourd'hui arrêter la musique et passer à autre chose?
E.O'B.: Je sais que je dois continuer à jouer de la guitare presque chaque jour, sinon je ne suis pas bien.
T.Y.: Il faut répondre à ses envies. A chaque fois que nous décidons de nous retrouver tous ensemble après une interruption, cela initie une renaissance de radiohead, mais en aucun cas cela ne signifie la fin du groupe. Notre raison d'être, c'est nos instruments et un bout de bande magnétique. Si nous devions arrêter la musique, nous serions morts.

Radiohead, in rainbows, 1 cd (xl recordings).